Le 28 février 2020, l’Organisation mondiale de la santé a porté à « très élevé » le niveau de la menace liée au nouveau coronavirus (2019-nCoV).
Dans cette situation, le Code du travail impose à l’employeur de prendre des mesures de protection et assure des droits au salarié exposé à un risque de pandémie ; un salarié peut se retirer d’une situation de travail s’il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa santé (art. L. 4131-1).
Le salarié n’a aucun accord oral ou écrit à obtenir de son employeur.
Il a en revanche une obligation d’information à l’égard de l’employeur, c’est le droit d’alerte, qui peut ensuite se transformer en droit de retrait en cas d’inaction de l’employeur.
Dénoncer un danger grave et imminent
Dénoncer une situation particulière : Tout salarié a la faculté d’alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. La simple croyance légitime en l’existence d’un danger grave et imminent suffit.
Le retrait peut avoir lieu immédiatement après l’alerte du salarié (C. trav., art. L. 4131-1, al. 1 et 2), si bien que l’on parle parfois de « droit d’alerte et de retrait ».
Dénoncer une situation générale : c’est le rôle des élus et particulièrement du Comité Social et Économique (anciennement Comité d’Entreprise) qui dispose d’un droit d’alerte s’il constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent (C. trav., art. L. 4131-2). Le déclenchement de la procédure d’alerte emporte l’obligation pour l’employeur de diligenter une enquête pour évaluer le danger.
Mais la simple croyance légitime en l’existence d’un danger grave et imminent ne suffit plus. Il faut que le danger et grave et imminent existe bel et bien.
Mais à quel moment est-il légitime de penser qu’il y a un « danger grave et imminent » lié au coronavirus dans l’entreprise ? C’est là qu’est tout le débat, et il n’est pas si facile à trancher.
Selon l’ancien Directeur général de la Santé, il n’y aurait pas, pour l’heure, suffisamment d’éléments permettant d’affirmer que la menace épidémique est un danger grave et imminent.
Or, ce n’est pas ce que prévoit le code du travail, qui précise que le droit de retrait s’exerce si le salarié a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
Cet exercice n’est donc pas conditionné à la réalité objective d’un danger grave et imminent : la seule perception raisonnable du salarié, c’est-à-dire une perception personnelle sensée, sans excès, de l’existence d’un danger grave et imminent, est suffisante.
Mais d’un autre côté, le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie liée au coronavirus.
Il faut à mon sens distinguer suivant que l’exposition au coronavirus est avérée ou seulement potentielle.
L’exposition avérée au coronavirus relève du droit d’alerte et du droit de retrait
L’exposition avérée au coronavirus relève du droit de retrait, même si l’évaluation de sa dangerosité doit être encore évaluée (source OMS).
Une situation dans laquelle un salarié pourrait incontestablement faire valoir son droit de retrait est celle dans laquelle l’employeur l’enverrait dans une des zones où les autorités sanitaires déconseillent de se rendre (Chine, Corée du Sud, Iran, Lombardie et Vénétie en Italie).
Une situation identique serait celle où un salarié de l’entreprise est effectivement contaminé.
Les autres hypothèses sont plus floues.
L’exposition potentielle au coronavirus peut relever du droit de retrait sous certaines conditions
On peut citer deux exemples :
– Un salarié est de retour d’une zone à risques (Chine, Corée du sud, Iran, nord de l’Italie) ;
– Les salariés sont en contact étroit et régulier avec le public, et peuvent donc se sentir menacer.
Ces salariés peuvent-ils raisonnablement penser qu’il y a un risque de contamination par le coronavirus dans leur entreprise ? Les salariés du Musée du Louvre sont confrontés à cette difficulté.
L’appréciation du danger reste subjective et relève du pouvoir des juges et non de l’employeur, à travers une analyse personnelle qui doit être raisonnable.
Il est très difficile d’évaluer le risque en cas d’alerte au coronavirus car les épidémies suscitent des craintes parfois excessives. Ce qui peut caractériser un danger pour un salarié peut ne pas l’être pour un collègue.
Cette appréciation du danger va dépendre des informations diffusées par les services de l’état (par le gouvernement et l’Agence Régionale de Santé principalement).
Sans élément suffisamment sérieux, c’est à dire sans recommandations du gouvernement ou des autorités sanitaires et médicales, il est hasardeux d’exercer un droit de retrait sous le seul prétexte que le coronavirus est dans « l’air ».
Toutefois, compte tenu de la mesure de confinement prise par le gouvernement le 17 mars 2020, le risque sanitaire est avéré sur tout le territoire national.
Les entreprises qui le peuvent ont d’ailleurs pour instruction stricte, donnée par le Ministère du travail, de recourir au télétravail afin que les salariés puissent rester chez eux.
Pour les autres salariés qui ne sont pas éligibles au télétravail , encore nombreux et qui pour la plupart exercent des métiers manuels ou techniques, leurs employeurs doivent impérativement mettre en place des mesures de protection sanitaire dans l’établissement afin de préserver leur santé.
A défaut de mettre en place de telles mesures, les salariés sont alors en droit d’exercer leur droit de retrait, qu’ils relèvent du secteur privé ou du public.
Quelle est la position des pouvoirs publics ?
Pour l’instant, les pouvoirs publics n’ont pas donné un avis qui les engage vraiment concernant la légitimité de l’exercice du droit de retrait dans le contexte du risque d’épidémie de coronavirus.
Le « questions-réponses » publié le 28 février 2020 par le ministère du travail indique qu’il « s’est déjà prononcé sur l’exercice du droit de retrait en situation de crise dans le cadre de la circulaire DGT n° 2007/18 du 18 décembre 2007 relative à la continuité de l’activité du secteur privé en cas de pandémie grippale, ainsi que dans la circulaire DGT n° 2009/16 du 3 juillet 2009 relative à la pandémie grippale. En situation de crise, les possibilités de recours à l’exercice du droit de retrait sont fortement limitées, dès lors que l’employeur a pris les mesures de prévention et de protection nécessaires, conformément aux recommandations du gouvernement, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux ».
L’administration a rappelé que l’exercice du droit de retrait dans un contexte de pandémie s’apprécie au regard de la situation particulière du travailleur qui l’invoque : « Il convient de souligner que le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie grippale » (Circ. DGT 2009/16, 3 juill. 2009 relative à la pandémie grippale et complétant Circ. DGT n° 2007/18, 18 déc. 2007).
Bref, l’administration ne se « mouille pas trop », étant rappelé que la décision finale appartient au juge.
Je ne partage pas cette analyse, car elle est trop restrictive et surtout en totale décalage avec la définition légale du droit de retrait. Le juge tranchera lorsque les litiges à venir lui seront soumis.
Traitement par l’employeur
L’employeur ne doit pas laisser l’alerte au coronavirus sans suite, même si le risque est jugé très faible.
Dans tous les cas une enquête interne doit être diligentée, avec la participation de la représentation du CSE et des acteurs de la santé au travail (inspection du travail, CARSAT, médecine du travail).
Il est recommandé à l’employeur de réunir le CSE (anciennement CE) pour évaluer conjointement le risque qui est présenté, d’inviter la Médecine du travail et la CARSAT à cette réunion (Procédure inspirée de l’alerte à l’initiative du membre du CSE : C. trav., art. L. 4132-3) et, en cas de désaccord, de saisir l’inspection du travail (C. trav., art. L. 4132-4).
Dans les petites entreprises qui ne disposent pas de CSE (moins de 11 salariés), il faut solliciter l’avis de la médecine du travail.
L’évaluation posée, l’employeur donne les suites au droit de retrait :
– Si celui-ci est fondé, et l’employeur prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave et imminent, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail (C. trav., art. L. 4123-5).
Au regard des informations diffusées par les pouvoirs publics, il nous semble que les salariés présents en Chine ou en Lombardie se trouvent potentiellement dans cette situation de danger grave qui justifie un droit de retrait et des mesures de rapatriement.
Le port de masque FFP2, qui protège son porteur, est recommandé s’agissant des salariés en contact étroit et régulier avec le public (Circ. DGT 2009/16, 3 juill. 2009, relative à la pandémie grippale).
Le risque de pandémie peut aussi imposer de modifier l’organisation même du travail, par exemple de renforcer le recours au télétravail ou de modifier les horaires du travail, etc.
– s’il n’est pas fondé, et si le droit de retrait est exercé de manière abusive, l’employeur peut prendre des mesures disciplinaires.
En principe, l’exercice légitime de ce droit ne peut entraîner « aucune sanction ni aucune retenue de salaire » (C. trav., art. L. 4131-4).
Si le droit de retrait est jugé illégitime par le juge, l’employeur sera alors en droit de faire des retenues sur salaire pendant les absences du salarié.
stevenP dit
bonjour,
on est chauffeurs-livreurs dans une entreprise du morbihan, on livre dans des zones infectées par le coronavirus. On fait quoi ? on peut refuser d’aller au travail ?
Christophe Noel, Avocat dit
bonjour,
A ce jour, je vous déconseille d’exercer un droit de retrait sans élément plus précis concernant votre entreprise ou les clients que vous livrez. Rien ne vous permet en effet de penser que vos conditions de travail présentent un danger grave et imminent pour votre santé. Mais les choses peuvent évoluer suivant la dangerosité du coronavirus.
gabriella dit
Le droit de retrait d’un salarié ne peut s’exercer, concernant le risque épidémique, que si l’entreprise ne suit pas les recommandations sanitaires dans les zones à risques : c’est à dire que la mise à disposition d’un masque ou autre protection respiratoire et de points d’eau et de savon ou gel hydroalcoolique, de gants … doit être obligatoire pour les salariés exposés régulièrement à des contacts étroits avec le public du fait de leur profession (métiers de guichet ou de caisse par exemple, agents des transports en commun, ..) : » Les mesures de prévention et de protection du personnel en cas de pandémie » : http://www.officiel-prevention.com/sante-hygiene-medecine-du-travail-sst/service-de-sante-au-travail-reglementations/detail_dossier_CHSCT.php?rub=37&ssrub=151&dossid=556
Christophe Noel, Avocat dit
Bonjour
Merci pour ce lien intéressant. Toutefois, l’avis de la médecine du travail ou du ministère du travail n’est qu’un avis, qui ne lie absolument pas le juge. Surtout que leur position me paraît assez restrictive concernant le droit de retrait face au coronavirus.