Le coronavirus est-il un cas de force majeure et, partant, une cause valable de rupture des contrats de travail ?
La question se pose depuis que le 28 février 2020, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a annoncé à l’occasion d’une conférence de presse que le coronavirus sera « considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises » en particulier dans le cadre de contrats passés avec l’État.
Quelle est la conséquence de la force majeure sur les contrats de travail ?
L’article L.1234-12 du code du travail prévoit que la cessation de l’entreprise pour cas de force majeure libère l’employeur de l’obligation de respecter le préavis et de verser l’indemnité de licenciement et l’article L.1234-12 envisage la rupture du contrat de travail à durée indéterminée en cas de sinistre relevant d’un cas de force majeure.
La portée de l’article L. 1234-12 est donc considérable puisqu’elle exonère l’employeur de la procédure de licenciement et du préavis.
Les contrats de travail à durée déterminée ou saisonniers sont également susceptibles d’être impactés par la force majeure, car certaines dispositions du code du travail sont à leur égard redoutables :
- L’article L. 1243-1 prévoit la faculté de rompre un CDD en cas de force majeure.
- Il en est de même s’agissant des contrat de travail temporaires (article L 1251-26).
La force majeure est définie par l’article 1218 du code civil et est caractérisée par un événement :
– imprévisible lors de la conclusion du contrat,
– irrésistible en ce qu’il empêche l’exécution du contrat.
Une pandémie comme le coronavirus est-elle un cas de force majeure ?
La seule existence d’une épidémie ne suffit pas à elle seule à constituer un cas de force majeure. Il reviendra au juge judiciaire de trancher au cas par cas.
Mais on peut se référer à la jurisprudence déjà rendue en matière de maladie et d’épidémies pour se faire une idée.
A chaque fois, le juge judiciaire a refusé d’assimiler une épidémie à un cas de force majeure : le bacille de la peste, les épidémies de grippe H1N1 en 2009, le virus la dengue ou encore celui du chikungunya n’ont pas été jugés comme des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure.
Les juges ont considéré soit que les maladies étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et effets sur la santé, soit qu’elles n’étaient pas (assez) mortelles.
Reste que pour le covid-19, la gravité de la crise sanitaire est telle que ces décisions passées sont difficilement transposables.
Le caractère exceptionnel de la crise sanitaire du covid-19 change t’il la donne ?
Il y a aujourd’hui de nombreuses incertitudes, dans la mesure où les autorités nationales prennent des mesures inédites, parfois brutales, voire contradictoires.
Ce qui est sûr, c’est que ces mesures, en ce qu’elles limitent et interdisent les déplacements de personnes, ressemblent à s’y méprendre à un cas de force majeure.
Que deviennent les CDI si le coronavirus est reconnu comme un cas de force majeure ?
Il est acquis que les restrictions actuelles ou futures, sont par nature temporaires et n’ont pas vocation à perdurer.
Dès lors, à l’égard des contrats à durée indéterminée, la situation de force majeure, si elle devait être reconnue, n’aurait qu’un caractère temporaire.
Elle ne justifierait donc pas la rupture du contrat de travail, mais seulement sa suspension.
C’est ce que prévoit clairement l’article 1218 du code civil, qui s’applique à tous les contrats, y compris les contrats de travail : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ».
Le critère posé par cet article est bien celui de savoir si l’empêchement de poursuivre le contrat de travail est temporaire ou pas.
Par conséquent, la crise liée au coronavirus pourrait tout au plus suspendre l’exécution du contrat de travail si cette crise empêche son exécution. Mais elle ne pourrait pas constituer une cause de rupture des contrats de travail à durée indéterminée.
En outre, il existe des possibilités pour éviter la rupture du contrat de travail pendant la crise sanitaire liée au coronavirus :
Ainsi, l’article L. 1222-11 du Code du travail envisage la faculté d’imposer le télétravail « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure ».
Pour les salariés qui ne sont pas éligibles au télétravail, rappelons deux règles :
D’abord, la fermeture de l’établissement où s’exécute leur travail est par nature temporaire, de sorte qu’au terme de cette période de fermeture, leur contrat de travail devra reprendre.
Ensuite, il y a la possibilité de recourir au chômage partiel et dans ce cas, leur contrat de travail est seulement suspendu et non rompu.
Il va de soi que l’employeur ne saurait valablement suspendre un contrat de travail pour un cas de force majeure lié au coronavirus que s’il a mis en place le télétravail si cela est possible, ou s’il a effectué les démarches nécessaires pour bénéficier des dispositions relatives au chômage partiel.
Quid des CDD et des saisonniers si le coronavirus est reconnu comme un cas de force majeure ?
L’article L. 1243-4 du code du travail reconnaît la possibilité pour l’employeur de rompre le contrat de travail à durée déterminée par anticipation, notamment pour cas de force majeure.
Cet article précise que, dans ce cas, le salarié n’a pas droit au versement de dommage et intérêt, sauf lorsque la rupture est due à un sinistre relevant de cas de force majeure.
L’hypothèse d’un « sinistre » ainsi évoquée n’est a priori pas applicable à la situation d’une épidémie comme le coronavirus.
Il n’en reste pas moins vrai que les entreprises ayant une activité saisonnière ont la possibilité d’avoir recours au cas de force majeur pour rompre les contrats de travail.
Rappelons que la qualification de force majeure s’agissant du coronavirus n’est pas tranchée à ce jour et que cette décision relèvera du pouvoir des juges du fond (Conseil de prud’hommes et chambre sociale des Cours d’appel notamment).
Nombreux sont les saisonniers qui ont vu leur contrat rompu du fait de la crise liée au coronavirus.
Ils conservent évidemment le droit de contester cette rupture devant les juridictions judiciaires.
Selon moi, l’employeur n’a pas le droit de rompre les contrat de travail à durée déterminée pour un cas de force majeure lié au coronavirus, s’il n’a pas effectué de démarches préalables pour bénéficier des dispositions relatives au chômage partiel.
En effet, la nature du contrat de travail (CDD, contrat saisonnier ou contrat d’intérim) n’a pas d’incidence.
Par exemple, les salariés qui travaillaient dans une station de ski qui ont récemment fermées, peuvent bénéficier de ce dispositif jusqu’au terme prévu par leur contrat saisonnier.
Il n’y avait donc aucune raison juridique valable pour rompre leurs contrats pour un cas de force majeure.
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