Lors d’une transaction conclue après un licenciement, une interdiction peut être apportée à l’ancien salarié de ne pas témoigner en justice contre son ex-employeur : une telle clause, en ce qu’elle restreint la liberté d’expression, est-elle légale ?
Dans pratiquement tous les accords transactionnels, il est prévu une clause selon laquelle l’employeur fait renoncer le salarié à user de sa liberté de témoigner en justice.
Concrètement, ce salarié ne peut plus témoigner en faveur d’un ancien collègue dans un litige prud’homal pour lequel son ancien employeur est partie.
S’il le fait, que risque-t-il ?
L’entreprise a alors la faculté de saisir la justice en invoquant le fait que l’ex-salarié a violé la clause de l’accord transactionnel en établissant spontanément une attestation pour le compte d’un autre salarié dans une procédure prud’homale, et ainsi d’obtenir :
– la condamnation de son ex-salarié à lui payer des dommages et intérêts
– la résolution du protocole transactionnel avec le remboursement de toutes les sommes versées.
Cette clause, qui restreint considérablement la liberté d’expression et expose l’ex-salarié à un risque financier important, pose évidemment de sérieux problèmes juridiques.
I. La question de l’interdiction de témoigner n’est pas réellement tranchée
D’un coté, cette clause peut sembler illicite en ce qu’elle :
- est contraire aux dispositions des articles 6 et 10 de la Convention Européenne des droits de l’Homme et de l’article 10 du Code civil suivant lequel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité » ;
- est contraire aux dispositions de l’article L. 1121-1 du code du travail aux termes duquel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » ;
- met à la charge de l’ex-salarié un engagement à vie, contraire à la prohibition des engagements perpétuels ;
- constitue le délit de subornation de témoin au sens de l’article 434-15 du Code pénal, en ce qu’elle lui impose une interdiction de délivrer une attestation,
et porte ainsi atteinte à la liberté d’expression et au droit fondamental d’agir en justice qui suppose de pouvoir témoigner sans être victime de rétorsion.
D’un autre coté, cette clause peut sembler licite car elle :
- n’interdit pas à l’ex-salarié d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité, lorsqu’il en est légalement requis ;
- restreint partiellement la liberté d’expression de l’ex-salarié dans une procédure tierce, l’ex-salarié restant libre de témoigner si une autorité judiciaire l’exige ;
- ne méconnait pas l’article L. 1121-1 du code du travail qui est relatif au seul contrat de travail, pendant l’exécution duquel il protège le salarié d’exigences injustifiées de l’employeur, cet article étant sans application après la rupture du contrat ;
- la restriction ne constitue qu’une atteinte limitée à la liberté d’expression et ne viole donc pas le principe général d’interdiction des engagements perpétuels.
Par conséquent, tantôt les juridictions annulent purement simplement ce type de clause, tantôt elles sanctionnent les salariés qui ne les respectent pas, sans qu’il y ait une position claire et tranchée.
II. Possibilité de contourner l’interdiction de témoigner : la citation en qualité de témoin
Aux termes de l’article 10 du code civil, chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité et celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice des dommages et intérêts.
La juridiction saisie peut donc estimer que l’existence de la clause contenue dans la transaction aux termes de laquelle l’ancien salarié s’engageait à ne pas établir de témoignages à l’encontre de son ex-employeur, ne constitue pas un motif légitime de refus de témoigner.
Dans ce cas, elle peut décider d’entendre cet ex-salarié en qualité de témoin dans le cadre d’un litige prud’homale pour lequel l’entreprise est partie, malgré la clause litigieuse.
L’employeur ne pourra pas en faire grief au témoin, puisque ce dernier sera entendu à la demande d’une autorité judiciaire, dans la stricte application de l’article 10 du code civil en vertu duquel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ».
C’est la façon la plus prudente pour faire témoigner un ex-salarié lorsqu’il est tenu par une clause contractuelle lui interdisant de témoigner en justice.
damien dit
C’est quand même hallucinant qu’un accord empêche quelqu’un de témoigner pour une affaire ne le concernant pas. Par ce biais, l’entreprise empêche toute personne de venir en aide à d’autres salariés!!!
De base, le salarié a énormément de difficulté à faire témoigner quelqu’un, et avec ces clauses, même ceux qui ont quitté la boite ne peuvent plus témoigner.
pearlita dit
C’est déjà difficile d’entamer une action en justice, c’est encore vrai lorsqu’il faut constituer des preuves. Lorsque ces dites preuves peuvent être renforcées par des témoignages écrits, les négociations transactionnelles comportant des clauses de non recours ou de renonciation doivent être frappées d’annulation. Ces clauses sont abusives car elles entravent la liberté d’expression. Aussi j’en viens à me demander, sur le principe de l’article 10 du code civil en vertu duquel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », pourquoi les clauses de non-recours ou renonciation ne sont-elles pas interdites ?