Interview de Me NOEL paru dans la Tribune le 24 février 2009. Kevin Colvin est la première victime sociale de Facebook. Ce jeune britannique s’est absenté de son bureau et a donné à son employeur, l’Anglo Irisk Bank, un faux motif d’absence, une urgence familiale. Las, une photo, publiée sur son profil Facebook, le montre, déguisé en fée à une soirée Halloween.
Et cette photo est admirée par son patron. La supercherie, dévoilée, trouve sa sanction : Kevin est licencié. Une telle histoire peut-elle se dérouler en France ? Réponse par Maître Christophe Noël, Avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit du travail.
Latribune.fr : Quels sont les droits des salariés sur Internet ?
Christophe Noël : Les écrits et les photos diffusés sur les réseaux sociaux du Web relèvent de la protection de la vie privée du salarié, qui constitue une liberté fondamentale. Cette protection impose, en principe, à l’employeur de ne prendre aucune sanction contre un salarié pour une cause tirée de sa vie privée.
Cette liberté fondamentale du salarié n’a-t-elle pas des limites ?
Il y a deux grands principes, à savoir la protection de la vie privée (l’article 9 du code civil) et la protection de la correspondance privée. Mais il y a deux exceptions. Cette protection s’arrête lorsque les propos d’un salarié causent un trouble manifeste à l’entreprise et lorsque la correspondance n’est plus privée, car elle est diffusée.
Et c’est là le danger potentiel des réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux tels Facebook sont un lieu privé ouvert au public. Car l’accès aux informations personnelles des participants est en principe restreint. Les écrits diffusés sur un réseau communautaire sont à mon sens, privés s’ils visent des personnes liées entre elles par une telle communauté d’intérêts. Mais toutes les informations qui vous concernent peuvent être utilisées et diffusées à votre insu par vos contacts et vos amis d’amis.
Quels textes de loi vont s’appliquer en cas de propos injurieux sur son profil Facebook ?
Le droit de l’information s’appliquera, avec la répression civile et pénale habituelle de la diffamation, de l’injure, de l’atteinte au respect du droit à la vie privée, ou encore de la contrefaçon. Le droit du travail s’applique aussi si les propos diffusés sont de nature à créer, compte tenu de la nature des fonctions des salariés et de la finalité propre de l’entreprise, un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise. Le pouvoir de sanction de l’employeur est alors légitime.
Deux droits s’affrontent alors ?
Deux droits s’affrontent, celui du salarié qui a le droit de s’exprimer et celui de l’employeur qui a le droit de sanctionner. Les salariés bénéficient d’un droit de s’exprimer « sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » en vertu de l’article L. 2281-1 du code du travail. Ce droit d’expression peut parfaitement s’exercer en dehors de l’entreprise, sur un réseau communautaire par exemple.
Dans quel cas l’employeur peut sanctionner ?
L’employeur pourrait se servir de la correspondance privée d’un salarié pour le licencier, si le contenu du message a été révélé par l’un des destinataires qui s’en est plaint à l’employeur et qu’il y a trouble manifeste pour l’entreprise.
Y a-t-il des cas de jurisprudence en France avec Facebook ?
Il n’existe pas de jugement définitif pour les réseaux sociaux, contrairement aux blogs et aux forums. Le phénomène de Facebook est récent en France. Le cas de l’anglais Kevin Colvin est à mon sens très discutable, car l’employeur a porté atteinte à la vie privée du jeune homme. Certes, le salarié a menti à son employeur, mais pour le droit français, il n’a pas créé de « trouble manifeste » au sein de son entreprise.
Jusqu’où pourrait aller l’employeur ?
Il n’existe pas de texte spécifique en droit du travail qui encadre la surveillance des salariés. C’est la jurisprudence qui fixe les règles à respecter, en rappelant que l’employeur a le droit de surveiller ses salariés dans l’entreprise à la condition de ne jamais porter atteinte à leur vie personnelle.
Propos recueillis par Clarisse Burger
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