La question fréquemment posée par les victimes est :
suis-je vraiment victime d’un harcèlement sexuel à mon travail ?
Pour y répondre, il convient d’examiner les situations concrètes que la justice a déjà tranchées.
Une notion encore trop abstraite pour les victimes
La parole se libère surtout dans les médias
Les affaires médiatiques récentes telle l’affaire Weinstein et le mouvement « Metoo » qui a suivi ont permis à des femmes de sortir du silence et d’agir contre leur harceleur.
Si la parole se libère, ce qui est louable, toutefois il existe toujours une incompréhension concernant la définition juridique du harcèlement sexuel et du sexisme donnée par le code du travail, à la fois par :
– l’article L1142-2-1 prohibe les agissements sexistes et prévoit que « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » ;
– l’article L1153-1 encadre
spécifiquement le harcèlement sexuel et prévoit qu’ « Aucun salarié ne
doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à
connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison
de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une
situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression
grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte
de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits
ou au profit d’un tiers ».
Identifier les violences sexistes
Le harcèlement sexuel au travail, se cumule à d’autres atteintes sexuelles qui, sans aller jusqu’aux attouchements du sexe ou aux rapports sexuels forcés, contribuent à créer une situation intimidante, hostile ou offensante portant atteinte à la dignité des personnes concernées.
La violence sexiste ne se limite pas à la seule brutalité physique car elle est aussi morale et ses effets sont tout aussi dévastateurs pour les victimes.
Le travail salarié est cet égard particulier car une personne exerce une autorité sur l’autre, lui donne des ordres, contrôle son travail, peut l’évaluer et peser sur l’évolution de la carrière.
Ce lien engendre un rapport de domination, qui, mal utilisé, peut parfois mener à des comportements déviants tels que le harcèlement et la violence.
La difficulté pour les victimes est de pouvoir identifier le harcèlement sexuel.
C’est pourquoi j’ai pris soin de faire une synthèse de différentes décisions judiciaires afin d’avoir un éclairage pratique, et non pas seulement théorique, concernant les violences sexistes au travail.
Le harcèlement sexuel vu par les juges
Les éléments constitutifs du harcèlement sexuel au travail
Eléments constitutifs liés aux actes
Sont sanctionnés par les juridictions les propos, gestes, envois ou remises de courriers ou d’objets ou autres attitudes ayant une connotation sexuelle.
Les décisions rendues en la matière sont très vastes et sanctionnent tous comportements qui peuvent être physiques, verbaux ou non verbaux.
Il peut s’agir d’une proximité physique non nécessaire, de massages de la nuque ou du cou, du fait de toucher les cheveux, les vêtements ou le corps d’une personne, le fait de la serrer dans ses bras, ou encore de la soumettre à des images à connotation sexuelle.
Les comportements verbaux renvoient aux remarques ou plaisanteries de nature sexuelle sur une personne, ses vêtements ou son anatomie par exemple. Mais il peut s’agir également de gestes ou mouvements sexuels faits en la présence d’une personne.
Citons quelques exemples :
– des menaces physiques (CA Paris, 18 janv. 1996) ;
– une multiplication de cadeaux, d’appels et de messages téléphoniques (Cass. soc., 3 mars 2009) ;
– des propos déplacés ou obscènes (Cass. soc., 1er déc. 2011) ;
– des propos à caractère sexuel par l’envoi de messages électroniques, hors du temps et du lieu de travail (Cass. soc., 19 oct. 2011) ;
– des gestes déplacés ayant une évidente connotation sexuelle (Cass. soc., 30 nov. 2005) ;
– la tentative d’un cadre d’embrasser une salariée contre son gré, sur le lieu de travail, de l’emmener à son domicile en renouvelant des avances de nature sexuelle, de l’appeler fréquemment par téléphone en dénigrant la relation affectueuse que celle-ci entretient avec un tiers (Cass. soc., 24 sept. 2008) ;
– comportement insistant, évolutif puis violemment agressif par l’envoi d’un message à caractère pornographe, insultant, dégradant et d’un effet très préjudiciable pour sa destinataire (Cass. soc., 13 juill. 2017).
Éléments constitutifs liés à la victime
CA Aix-en-Provence, 20 avr. 2018 : Le harcèlement peut être dirigé envers une victime unique, peu important que les autres collaborateurs n’aient jamais été victimes d’aucun comportement déplacé.
« Est avéré, le harcèlement sexuel envers une gouvernante d’hôtel de luxe, par des gestes répétés, inadaptés et inappropriés à son égard, ciblés sur sa personne puisque les autres personnels féminins ne mentionnent aucun comportement déplacé envers elles, que ne saurait justifier un tempérament tactile et donc une attitude d’autant plus inadéquate qu’elle émanait du responsable hiérarchique supérieur de l’intéressée ».
CA Paris, 5 avr. 2018 : Le harcèlement peut être avéré quand bien même que les autres collaborateurs n’aient jamais été témoins d’aucun comportement déplacé.
« L’employeur produit les attestations d’autres salariés de l’entreprise, qui déclarent n’avoir jamais vu le responsable faire preuve d’un comportement déplacé à l’égard de leur collègue qui se montrait provocatrice à son égard. Or ce comportement provocateur n’a jamais été reproché à la salariée, et de plus, celle-ci n’a jamais prétendu que les actes de harcèlement sexuel étaient permanents, ce dont il résulte que tous les salariés de l’entreprise n’y ont pas forcément assisté ».
Éléments constitutifs liés à l’auteur
Abandon du rapport d’autorité nécessaire
Il est admis que les agissements de harcèlement sexuel peuvent être le fait de toute personne dans l’entreprise, y compris les collègues de la victime.
Le harcèlement sexuel peut donc être horizontal (sans lien hiérarchique) ou vertical. Cette règle est constante dans la pratique.
CA Paris, 19 déc. 2018 : L’auteur du harcèlement peut être un collègue de la victime et non son supérieur hiérarchique.
« Le comportement déplacé et équivoque du salarié à l’égard de jeunes employées de l’hôtel sur lesquelles il avait un ascendant certain compte-tenu de son âge, soixante-quatre ans, et de son expérience caractérise une faute grave. Il s’agissait d’un mauvais exemple pour les autres salariés, risquant de ternir l’image de l’hôtel, ses agissements s’apparentant à du harcèlement sexuel à l’égard de la collègue qu’il a embrassée, mettant en cause la sécurité et la santé de cette salariée ».
CA Paris, 28 juin 2017 : Le harcèlement par le responsable hiérarchique ou dans le contexte d’un lien de subordination est un facteur aggravant.
« Les propos à caractère sexuel et l’attitude déplacée du salarié, engagé en qualité de responsable fitness, assistant directeur de club, à l’égard d’une personne avec laquelle il était en contact en raison de son travail s’agissant d’une personne âgée de 28 ans travaillant sous sa subordination et à l’égard de qui il a en réalité usé de son pouvoir hiérarchique pour tenter de la contraindre à céder à ses avances ne relevaient pas de sa vie privée et ce d’autant plus que la jeune femme a refusé de satisfaire à ses attentes. Le lien hiérarchique professionnel qui unit l’auteur à la victime de ses agissements et propos déplacés à connotation sexuelle caractérise le rattachement à la vie professionnelle ».
CA Aix-en-Provence, 15 nov. 2018 : L’auteur du harcèlement peut être une femme.
« Est justifié par une faute grave le licenciement d’une salariée, responsable marketing, ayant harcelé sexuellement ses subordonnées en les obligeant à lui indiquer la fréquence de leurs relations intimes, comportement constituant une violation particulièrement grave de l’intimité des salariées placées sous son autorité, laquelle rendait impossible le maintien de la relation contractuelle de travail, fut-ce durant la période du préavis ».
CA Dijon, 2 févr. 2017 : L’auteur du harcèlement peut être du même sexe ou d’un sexe différent de celui de la victime.
« Les gestes obscènes du salarié sur des collègues masculins caractérisent une faute grave. Les salariés interrogés ont confirmé la réalité des gestes obscènes pratiqués par l’intéressé sur ses collègues masculins, avec une préférence pour les plus jeunes et les intérimaires ».
CA Rennes, 13 janv. 2017 : L’auteur du harcèlement n’est pas nécessairement un individu unique, il peut s’agir d’un groupe d’individus auteurs de harcèlement collectif.
« Il ressort des nombreuses attestations et pièces qu’elle produit que les courriels comportant des blagues et des photographies à caractère pornographique ou sexiste et des propos du même style étaient courants et fréquents au sein du service commercial et que tous y participaient. L’employeur ne pouvait ignorer leur existence, décrite par les salariés comme généralisée et générée par la forte pression exercée par la direction du groupe ».
Éléments constitutifs liés à la relation de travail
CA Toulouse, 18 oct. 2018 : Le harcèlement sexuel ne peut être retenu par les juridictions du travail dans un contexte totalement étranger à la relation de travail, quand bien même l’auteur et la victime travaillent ensemble.
« Le harcèlement sexuel allégué par la salariée à l’encontre du dirigeant de la société employeur comme se trouvant à l’origine de son inaptitude ne peut être retenu, les faits s’expliquant par la relation amoureuse entretenue par les parties et leur relation de concubinage ».
CA Paris, 15 mai 2018 : Le harcèlement au travail ne peut non plus être retenu en cas de harcèlement par une personne étrangère à toute relation de travail.
« La salariée qui prétend avoir été victime d’une agression sexuelle sur son lieu de travail par le gendre de son employeur ne peut se prévaloir d’un harcèlement sexuel à l’encontre de son employeur ».
Éléments de preuve du harcèlement
Des éléments qui laissent supposer
CA Aix-en-Provence, 8 juin 2018 : La victime doit présenter suffisamment d’éléments probatoires pour établir une présomption de harcèlement.
« La cour considère que la présomption de harcèlement sexuel n’émerge pas suffisamment en raison du caractère très incertain des éléments probatoires présentés. Certaines attestations sont en effet imprécises quant aux dates des faits. D’autres attestations sont sujettes à caution en raison de la nature des relations de la salariée avec leur auteur, qu’il s’agisse de l’ex ou futur ex-mari de la salariée ou de son ami actuel. Il résulte également des circonstances de l’espèce que l’une des attestations ne revêt aucun caractère spontané mais a été fournie par son auteur davantage par lassitude que par conviction ».
CA Versailles, 14 mars 2018 : « L’ensemble des éléments communiqués par la salariée, qui sont constitués pour l’essentiel de ses propos ou de la reprise par d’autres de ses confidences, ne laissent pas présumer l’existence d’agissements dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle de la part de son directeur ».
Le harcèlement consenti
CA Toulouse, 9 mars 2018 : C’est notamment nécessaire dans les cas où la victime a entretenu avec l’auteur des relations librement consenties car les comportements litigieux ne doivent pas avoir été consentis par la victime.
« Le salarié a entretenu avec son employeur une liaison librement consentie dont il n’appartient pas à la cour d’apprécier la moralité. Une unique attestation qui se contente de faire état de fait décrits en des termes généraux, qui se seraient produits dans des circonstances de temps et de lieu non précisées, est trop peu circonstanciée pour que les faits relatés soient tenus pour établis. Les éléments que le salarié présente ne laissent pas présumer, dans leur ensemble, l’existence d’un harcèlement sexuel ou moral ».
L’enquête interne à l’entreprise
CA Besançon, 3 nov. 2017 : Il appartient à l’employeur de faire preuve de discernement lors de l’exercice de son pouvoir disciplinaire en cas de dénonciation mensongère d’une salariée afin de préserver les droits fondamentaux d’un salarié supposé auteur d’acte de harcèlement.
« Le licenciement d’un salarié pour harcèlement sexuel d’une collègue est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu’il a été victime des déclarations mensongères de cette collègue dont la plainte a été classée sans suite pour dénonciation mensongère et qui a fait l’objet d’un rappel à la loi. Cette circonstance ne saurait exonérer l’employeur de sa responsabilité à l’égard du salarié évincé à tort de son emploi. L’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur lui ne l’exonère en effet pas du respect des droits fondamentaux des salariés mis en cause et de l’obligation d’agir avec discernement lors de l’exercice de son pouvoir disciplinaire ».
C’est à l’employeur de prouver l’absence de harcèlement
CA Metz, 13 nov. 2018 : En cas d’éléments suffisants apportés par la victime pour établir une présomption de l’existence d’un harcèlement sexuel, la charge de la preuve est inversée et il appartient à l’employeur de prouver l’absence de harcèlement.
« Le licenciement pour inaptitude physique de la salariée, employée polyvalente dans un café restaurant est nul dès lors qu’elle apporte des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel par son employeur. Les attestations apportées par l’employeur ne prouvent pas que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
CA Angers, 4 juill. 2017 : « L’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Celui-ci est en conséquence établi ».
Les suites de la plainte pénale
CA Douai, 26 janv. 2018 : Cette preuve de l’inexistence du harcèlement peut être apportée, entre autres, par le classement sans suite de la plainte de la victime et par l’absence de témoignages concordants.
« Le dépôt par la salariée d’une plainte auprès des services de police, les attouchements du gérant après la fin de relations sexuelles consenties, l’emprise du gérant sur la salariée, les soins psychiatriques dont elle a bénéficié constituent un ensemble d’éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. Ce dernier n’est cependant pas avéré. L’employeur renverse en effet la présomption en prouvant que la plainte pénale a été classée sans suite et en produisant des attestations émanant de membres du personnel et de clients habituels affirmant qu’ils n’ont pas été témoins de gestes déplacés. Par ailleurs, la salariée a été déclarée apte par le médecin du travail ».
Laisser un commentaire